Promenons-nous tant que la mort n’y est pas – extrait

Résumé

Franck en a sa claque du monde littéraire. Il n’a qu’une envie : Jeter sa plume d’écrivain et en finir avec tout ça. C’est sans compter sur son éditeur qui lui impose un dernier ouvrage.

C’est donc décidé, Franck écrira un recueil de nouvelles. Six nouvelles d’horreur. Six nouvelles inspirées par ses propres démons et à l’issue de tout ça, il y aura le feu d’artifice. Le grand final.

Entrez dans cet univers où l’ennemi est interne, où la Faucheuse vous observe de près. Entre bien et mal, le combat est souvent rude. Qui en sortira vainqueur ? Et au fond, peut-il vraiment y avoir un vainqueur, si ce n’est la mort elle-même ?


UN PETIT EXTRAIT AUDIO ?

Retrouve la lecture ouffissime du Chat Peter ici :


FRANCK (1)

18 novembre, 202*

Ça fait déjà une heure que je regarde mon ordinateur sans y avoir noté un putain de mot.

Avant, j’avais l’habitude de taper frénétiquement jusqu’à écrire des pages et des pages. Quand je commençais un livre, je ne vivais que pour lui jusqu’à ce que je l’aie achevé. Mais seulement, voilà, aujourd’hui je n’ai plus rien à raconter. J’ai déjà décrit toutes les intrigues possibles. Je n’ai plus rien en réserve ! Putain, dire qu’à une époque j’arrivais encore à mettre sur papier ces scènes que je voyais aussi distinctement qu’un souvenir.

Depuis mon enfance, je suis poursuivi par des nuées de visions diaboliques que souvent je ne comprends même pas tellement c’est le bordel. Mes parents se sont vite inquiétés et m’ont fait suivre par un psy. Il en a simplement conclu que j’étais un gosse avec une imagination sans borne, accompagnée d’une tendance dépressive qu’il allait falloir surveiller durant mon adolescence. En gros, j’étais un raté incurable.

Et voilà comme ce charlatan s’est payé ses vacances pendant dix ans. Dix années à me faire retourner le cerveau tous les mercredis après-midi. Vous, vous alliez au solfège, bah, moi j’allais m’allonger sur un divan creusé par le postérieur de tous les autres tarés qui m’avaient précédé. Ce n’était pas vraiment l’enfance idéale.

Quand je suis arrivé à la majorité, j’ai refusé de le revoir. C’est bon, j’avais dix-huit ans et je pouvais enfin prendre mes propres décisions. Et puis, je le détestais ce mec. Il m’avait déjà assez pourri mes jeunes années ! Il avait bien essayé de me faire rentrer dans les petites cases bienpensantes de la société, mais faut croire que ça a été un sacré échec. Peut-être même le pire de toute sa carrière. J’étais sa némésis et il était le mien. On se détestait cordialement et je ne suis pas sûr de lui avoir beaucoup manqué après ça.

Moi, tout ce que je voulais c’était exprimer ces visions que j’avais. Je n’en avais rien à faire qu’elles me dévorent. Je m’en foutais royalement d’être dépressif. Je ne voulais pas les enterrer au plus profond de mon esprit comme il me l’avait souvent recommandé. Moi je voulais les écrire pour que tout le monde me comprenne. Je ne voulais pas m’adapter à la société, je voulais simplement qu’elle me laisse être moi-même. Qu’elle me fiche la paix !

Déjà petit, j’aimais raconter des histoires aux autres, mais elles ne recevaient pas toujours l’accueil que j’escomptais. Dans mes récits, le mari violait le cadavre de sa femme, l’enfant de deux ans tuait sa jumelle pour récupérer son jouet, les fantômes hantaient les membres de leur famille qui avaient osé continuer la vie sans eux. Ce n’était pas vraiment le genre de contes qu’on attendait de la part d’un gosse. La plupart du temps, mes parents m’ignoraient, ils reprenaient leur discussion comme s’il n’y avait eu aucune interruption. Mais je voyais bien qu’ils avaient un peu peur de moi. Ils ne se sentaient pas menacés, mais je pense qu’ils se sont sérieusement demandé s’il n’allait pas falloir m’interner un de ces quatre. C’était simple : les adultes n’aimaient jamais quand je racontais mes histoires.

Comme on peut se l’imaginer, mes camarades de classe, eux, en raffolaient. Je suis même sûr qu’on m’invitait aux soirées pyjama juste pour ça. On me refilait une lampe torche, on éteignait les lumières et moi, je faisais le show. J’étais l’attraction du moment. Mais n’allez pas vous méprendre : je n’étais pas populaire. Non, j’étais le taré qui racontait des histoires d’horreur. On m’invitait pour se faire peur, comme certains gosses demandent des dresseurs de reptiles pour leur fête d’anniversaire. C’est marrant le temps d’une journée, mais on n’en veut pas chez soi. 

J’étais différent parce que j’étais intrigué par le mal pendant qu’eux aimaient les jeux de dragons, donjons et princesses à secourir. Je lisais Stephen King ou Edgar Allan Poe pendant qu’ils regardaient des dessins animés. Je broyais du noir dans ma chambre pendant qu’ils riaient sur les terrains de foot. Je n’étais pas un gosse comme les autres, ça tout le monde se l’accordait à le dire. Et fallait bien s’en douter : je ne suis pas devenu un adulte comme les autres.

Il m’a fallu du temps pour accepter cette différence, mais j’ai fini par en tirer un avantage et j’ai commencé à écrire des petites rubriques dans le journal du lycée puis dans ceux de ma région. Tout est parti très vite. Je n’ai pas vraiment compris d’où c’était venu à vrai dire.

Deux ans après avoir obtenu mon baccalauréat, j’étais connu dans toute la France et même au-delà. J’avais vendu plusieurs bestsellers, je faisais des séances dédicaces, j’étais invité sur les plateaux télé. Et malgré mon jeune âge et ma réussite, je n’ai pas pris la grosse tête, j’ai continué d’écrire. N’allez pas croire que je suis quelqu’un d’humble. Pas du tout. C’était juste que malgré tout ça, dans ma tête j’étais toujours ce putain de loser. Et je suis toujours ce putain de loser, mais on va dire que maintenant j’ai des raisons de le croire. On verra ça plus tard et revenons à mes années de gloire.

À cette époque, je ne m’arrêtais jamais. J’écrivais tout le temps, chaque minute y était entièrement consacrée. Je ne dormais presque plus, j’avais abandonné la fac parce que j’étais sûr que j’allais vivre de mon art. Je lisais, les yeux emplis d’espoir les biographies d’hommes à qui tout réussissait et qui passaient le reste de leur vie à se la couler douce sur des plages paradisiaques, entourés de mannequins à poil. Je me projetais déjà à leur place. Après tout, tout me réussissait aussi, non ? Qu’est-ce qui pouvait bien aller de travers ? J’étais un putain d’écrivain avant-gardiste !

En résumé, j’étais sacrément con.

À ce tournant de ma vie, j’avais un public et on attendait beaucoup de moi. On s’attendait à ce que je sorte un livre d’une taille respectable tous les ans. On s’attendait à ce qu’il soit toujours génial. On s’attendait à en avoir pour son argent.

Mais bordel, vous avez déjà essayé d’écrire un livre de cinq-cents pages en un an ? Vous savez la pression que ça vous met ? Vous savez le dégout que ça crée au fond de vous ? Je peux vous dire, si vous commencez à programmer vos romans en fonction de leur apport financier, alors vous ferez de la merde. Vous n’écrivez plus parce que vous avez trouvé l’idée du siècle. Vous écrivez parce qu’il y a le prêt de la maison à rembourser et le prochain yacht à financer.

Et vous écrivez du néant. Déjà parce que c’est impossible de tenir un tel rythme sur plusieurs années et ensuite, parce que vous devenez blasé.

Écrire est égale à fric, fric est égale à nana et donc par extension à baise et alcool. Vous n’écrivez plus pour le plaisir, mais parce que c’est devenu indispensable pour votre libido et votre portefeuille. En fait, vous n’écrivez plus du tout par plaisir, vous en êtes même carrément dégouté. Vous repensez à ce petit con que vous étiez et qui hurlait à tous ceux qui voulaient bien l’écouter « Ouais, moi, je suis écrivain. Je vis de ma passion, très peu pour moi la vie d’esclave, enchainé à mon patron. Je veux vivre, je veux garder ma liberté » (à lire avec une voix de bobo parisien).

Ah, bah, il doit bien se marrer ce petit con, maintenant.

C’est à cause de tout ça que maintenant je me retrouve devant cette page blanche de mes deux. Pas un mot. Ça fait surement plus d’une heure maintenant et toujours pas un mot.

  • Pourquoi tu as arrêté la fac, abruti ? 

Ouais, je parle souvent à voix haute. Ça a commencé il y a quelques années quand Anne est partie et que je me suis senti un peu isolé. En fait, je ne parle pas vraiment seul, je parle à mon chien, mais pour l’instant il ne me répond pas encore. Il se contente de lever la tête quelques secondes, histoire de dire qu’il a entendu et il se remet aussitôt à ronfler. Faut pas s’attendre à beaucoup plus venant d’un molosse qui bave en continu et qui a les babines qui pendent au sol. Pourquoi je l’ai adopté déjà ? Ah oui. Parce qu’Anne voulait un chien. Bah, elle avait qu’à l’emporter dans ses valises, moi je n’en ai jamais voulu de ce sac à puces.

Bon, je suis vache. Parce qu’au final, c’est la seule personne qui me soutienne encore. À sa façon, mais c’est toujours ça. Je suis à une étape de ma vie où je commence à faire le bilan. Autant sur le plan personnel que professionnel. Dix ans de carrière, ce n’est pas rien.

Et ça me déprime bien de voir tout ça. Je suis loin de casser ma pipe. Enfin, si je ne meurs pas d’un accident ou d’un cancer, ce qui, au vu de ma consommation d’alcool et de clopes n’est pas vraiment déconnant. Mais, si je dois mourir de la façon la plus paisible, c’est à dire de fatigue à la fin d’une longue vie bien remplie, je vais sacrément me faire chier pendant toutes ces années qu’il me reste !

J’en ai marre de fixer cet écran sans que rien ne se passe. Il est temps de prendre une décision. C’est peut-être la pire de ma vie, mais tant pis ! Je ne suis plus à une décision merdique près. J’attrape mon téléphone, résolu à prendre ma retraite anticipée auprès de mon éditeur.

Allez, terminus, tout le monde descend ! Je vais remballer ma plume d’écrivain et la mettre au placard. Et si Pascal n’est pas content, il sait très bien où il peut se la foutre, ma plume.

Je compose le numéro tout en répétant ce discours que je prépare déjà depuis plusieurs jours. « Te laisse pas avoir, mec. Il va essayer de te retenir, mais toi, tu vas pas lâcher le morceau ! Ce soir, c’est définitivement fini ». Il y a une sonnerie, puis deux. Ça décroche très vite.

  • Allo ?
  • Ouais, Pascal, c’est Franck, je voulais juste te dire que j’avançais pas, là. Je crois que c’est fichu, la machine est cassée une bonne fois pour toutes.
  • Mon vieux, tu m’as fait ce coup-là des centaines de fois. C’est juste une phase. Sors, trouve-toi une autre jeunette, tue un mec, fais-toi interner. Je m’en moque, mais tu vas me trouver une solution ! À la fin de l’année, juste avant les périodes de Noël, ton putain de bouquin va sortir et tu recevras de l’oseille. Je recevrai de l’oseille. En fait, il va même pleuvoir de l’oseille tellement ton livre sera génial. OK ?
  • Non, je crois pas que tu aies bien compris, j’arrête. Je glisse la clé sous la porte.
  • Les écrivains et leurs crises existentielles… Tu as pensé à tes lecteurs ? Tu as pensé à moi, bordel ? Donne-nous au moins un dernier livre, un adieu en quelque sorte.
  • Tu veux me plumer jusqu’au bout, hein ?
  • C’est mon métier. Je suis pas assez doué pour écrire moi-même, alors j’exploite ceux qui le sont.

Sa franchise m’a toujours bien fait marrer. Je sais qu’il n’aime pas mes bouquins, ce n’est pas son genre. Mais par contre, il a assez de nez pour savoir si ça va se vendre ou non. Il ne m’a jamais menti en disant adorer ce que je venais de pondre. Il a toujours été sincère et m’a accueilli avec des : « Et encore une bouse qui va se vendre comme des petits pains ! Mon salaud, tu fais pas de la grande littérature, mais qu’est-ce que tu rapportes ». En gros, si on l’écoute, je suis assez doué pour vendre de la merde aux gens. Et le pire, c’est qu’ils en redemandent. C’est comme ça que des navets comme Twilight font carton plein. Ce n’est pas de la faute de l’auteur, vous avez juste à être plus exigeants !

Il se lance ensuite dans un long discours sur le devoir que j’ai auprès de mes lecteurs. Je dois leur fournir un putain de final, les feux d’artifice et tout le tralala qui va avec. Je me dois d’écrire au moins un ultime livre qui serait considéré comme tel. Je peux toujours faire mon grand retour plus tard, mais au moins je ne les aurais pas pris en traitres. Bref, je leur suis redevable.

Mais redevable de quoi ? Non, sincèrement ? Parce qu’ils m’ont payé mon train de vie durant toutes ces années, je leur dois un dernier roman ? Est-ce qu’on dit au comptable qui veut démissionner « Hey, Patrick ! Tu peux pas partir comme ça ! Va s’y, fais-nous un dernier bilan comptable, tu nous dois bien ça. » ? En fait, je n’ai jamais été dans le monde du travail, donc je n’en sais rien si on dit ça ou pas, mais je suis quasiment sûr que ça n’arrive pas. 

J’ai bien l’intention de ne pas me laisser faire.

Mais je suis faible. Les cachets, l’alcool, la solitude. Ça tape au bout d’un moment et je me laisse guider par le son de sa voix, qui telle celle d’un hypnotiseur, s’immisce dans mon cerveau.

Tout à coup, l’idée me parait bonne. Ce n’est pas si déconnant que ça : un dernier rodéo et je raccroche. Qu’est-ce que ça me coute de toute façon ?

« Un livre, juste un dernier, et après tu pourras ranger ton ordinateur, le verre d’alcool qui traine à côté, ainsi que le petit rail ». Bon, la drogue, ça fait déjà plusieurs années que j’ai arrêté, mais pour ce qui est de l’alcool, je crois bien que je n’ai jamais autant bu.

C’est peut-être ça qui me bloque les neurones.

Depuis quelque temps, je perds le contrôle, je le sens bien. Mais ce n’est pas de ma faute. Rappelez-vous, mon psy m’a diagnostiqué une personnalité dépressive. Je n’y peux rien s’il y a quelqu’un au fond de moi qui me veut foncièrement du mal. Je n’y peux rien s’il fait tout pour foutre ma vie en l’air. Je n’arrive plus à lutter.

Tout à coup, comme par magie, une idée me vient. Et si, l’humanité perdait le contrôle et qu’on faisait tout ce qui nous passait par la tête sans jamais pouvoir se retenir ? Je crois que je tiens un truc là ! Je gribouille mes pensées sur un carnet, rapidement comme si j’avais peur qu’elles s’échappent de mon cerveau d’un moment à l’autre. L’euphorie s’empare de moi jusqu’à ce que je me rende compte tout simplement que cette idée, c’est de la merde. On ne fait pas un livre, et encore moins un bestseller, avec ça comme synopsis.

Ou alors on assume complètement le fait de prendre les gens pour des cons.

C’est dommage parce que l’idée me plait et j’ai envie de l’exploiter ! Je m’assois doucement sur la chaise comme si le moindre bruit pouvait briser ce cycle de réflexion qui explose en moi. Un combat affolant a lieu dans mon cerveau. Les idées qui ne venaient pas au premier abord fusent de toute part maintenant. Certaines sont moyennes voire carrément foireuses ! Mais ça m’aurait amusé de les écrire, juste pour le plaisir, sans réfléchir à leur potentiel de vente.

En fait, je décide que je n’écrirai pas pour le public et l’argent, mais pour l’ivresse. Quitte à publier un dernier roman, autant le bâtir avec passion, comme avant. Je vais me faire plaisir à travers ce livre. À la place de mon sempiternel roman policier, je vais enfin pondre un recueil de nouvelles d’horreur. Ou au moins de nouvelles, on verra après pour le registre. Si je suis motivé, je ne collerai même pas un genre dessus. Ce sera un mélange de tout et de rien.

Je vais rendre chèvre Pascal, parce que les recueils de nouvelles, si on ne s’appelle pas Stephen King, ça ne se vend pas. Et puis faire de l’horreur alors que je suis connu pour le policier, c’est carrément suicidaire. Je l’entends déjà me dire que je fonce droit dans le mur. Ça ne va jamais s’écouler ! Mais je m’en fous.

Peut-être que je vais de nouveau apprécier écrire. Peut-être que ça me redonnera même envie de continuer, et peut-être même que je n’arrêterais pas. Il l’aura plus vite que prévu mon come-back ! On verra, on verra.

Je me place devant mon ordinateur et commence à taper. Une touche après l’autre. Tout d’abord, j’entends le bruit du « L », puis celui du « E ». Quand j’appuie sur la barre espace, un frisson me parcourt.

« Le suicide ».

Le titre est noté, il ne reste plus qu’à continuer. Je sais que je suis enfin lancé et c’est bon, putain !


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